Boite à outils

Le "livre du mardi" : La division Handschar, Waffen SS de Bosnie 1943-1945

le 9 septembre 2020, par Redita

(Presque) tous les mardis, la CNAF publie la critique d’un ouvrage en lien avec le combat antifasciste.

Xavier Bougarel - Passés composés - 437 pages

La division Handschar suscite bien des fantasmes : des SS musulmans, ce serait la preuve d’un lien idéologique entre islam et nazisme. Des engagés en Bosnie d’une division « poignard », ça alimente la fascination pour l’exotique « race nord-dinarique »... jusque chez nos jeunes fachos qui, orphelins du GUD Paris et plein d’admiration pour Halim Malkoč, un des imams SS, se donnaient du « bosniaque » avant de trouver leur appellation de « zouaves ».

Xavier Bougarel, historien du CNRS, est un fin connaisseur des Balkans et de la Yougoslavie. Dans ces quelques quatre cents pages, il livre les résultats de ses recherches au Centre Marc Bloch de Berlin. Il s’avère que l’islam ne joue pas un rôle central. La nostalgie de l’empire Austro-Hongrois comptera peut-être plus dans l’allégeance au Troisième Reich. La décision d’Himmler tient surtout au lobbying du célèbre mufti nazi de Jerusalem. A l’origine, il s’agit pour le Reichführer SS de créer une division en Croatie, où les musulmans seraient majoritaires. Ils y côtoieront en effet des engagés croates catholiques, ainsi que des allemands, du Reich ou « de souche » (vivant hors d’Allemagne), qui composent la hiérarchie. L’appel aux allemands est vu comme un moyen de mettre un terme aux déchaînements de violence contre les villages musulmans. Et très vite des tensions apparaissent entre la plupart des dirigeants nazis et l’Etat croate oustachi qui craint des velléités d’autonomie en Bosnie. Pour se protéger des oustachis comme des tchetniks, des milices villageoises se sont constituées. Revêtir l’uniforme nazi pour un paysan musulman est surtout perçu comme un moyen de rester et combattre en Bosnie, en évitant le recrutement dans l’armée de l’Etat croate. Mais l’absorption des milices locales ne se fait pas d’elle-même. Et la mutinerie des soldats de la 13ième division à Villefranche-de-Rouergue s’explique pour partie par cette déception d’être envoyé hors de la patrie. En outre, l’enrôlement n’y a pas été que volontaire. La motivation, outre pécuniaire, s’appuie plus sur l’anti-communisme que sur un fanatisme islamique voire une adhésion généralisée au national-socialisme. Bougarel s’intéresse à la complexité des trajectoires des combattants, en replaçant le quotidien de la 13ième division dans l’histoire de la Seconde guerre mondiale dans la Yougoslavie. Il aborde ainsi tout un pan méconnu : la stratégie allemande de lutte contre les partisans, avec un dispositif de « pacification » dans le nord-est de la Bosnie. Ce Befriedungsraum est pensé comme le pendant à l’administration des territoires libérés par les partisans, qui expérimentent leurs projets de République socialiste. S’ouvre alors une période de collaboration avec le mouvement royaliste tchetnik, à qui la 13ième division abandonne les villages à majorité serbe (orthodoxe). Les nazis comprennent bien que le principal danger vient de la « bolchevisation » de la population derrière les lignes de front. L’implication de la 13ième division dans les massacres villageois (y compris musulmans) s’explique par cette priorité d’anéantissement des partisans, où la violence armée prendra vite le pas sur l’utopie rurale SS, fondée sur l’économie de la prune...

Bougarel reprend l’expression de « guerre(s) dans la guerre » de Milovan Đilas (d’abord théoricien de premier plan du PCY avant d’en être exclu pour « déviations anarchistes, trotskistes ») pour rappeler comment se sont croisés des conflits de natures différentes : résistance contre les occupations italiennes et allemandes, polarisation de l’opposition communistes contre anti-communistes, suscitant des rapprochements entre collaborateurs et résistants, sur fond d’une implacable mécanique des vengeances intercommunautaires. Son livre vient rappeler qu’un mouvement de résistance n’est pas seulement une succession de batailles mémorables ou d’escarmouches armées. Car derrière les lignes, la vie sociale continue. Les partisans ont ainsi mené un intense travail politique, au contact des masses : « La victoire du mouvement des partisans yougoslaves est aussi celle du seul acteur de la guerre qui a su arracher les paysans à leurs villages, leur inculquer les éléments de base de l’idéologie communiste et les intégrer dans un nouveau projet étatique plurinational ».