Juste avant les mesures de confinement, le sujet d’actualité majeur à l’extrême-droite concernait la situation sur la frontière entre la Grèce et la Turquie. Le RN dépêchait deux de ses euro-députés, dont Bardella, vice-président du parti, aux côtés de deux députés du Vlaams Belang. Guidés par un général de l’armée grecque, ces membres du groupe ID au parlement européen en appelaient à une fermeture des frontières. Depuis l’accélération de la crise sanitaire liée au covid-19, la première mesure d’urgence réclamée par le RN est... la fermeture des frontières. L’obsession nationaliste et xénophobe ne faiblit pas.
Le RN comptait sur les municipales. Avec la réélection de ses maires, son principal objectif est certes atteint, mais le RN a été touché par l’abstention de son électorat. L’appel du RN à conforter son implantation locale n’aura pas vaincu les inquiétudes liées à l’épidémie. Bien conscient de l’angoisse (crainte de la maladie, inconnue sur les capacités de soin, adaptation au confinement, etc.), les extrêmes-droites, RN en tête, alimentent cette inquiétude. De Présent à Valeurs actuelles en passant par les réseaux sociaux, la fachosphère s’attache à faire des quartiers à forte population immigrée des espaces « d’ensauvagement » où les gestes barrières et le confinement ne seraient pas respectés. La méthode est rodée : c’est celle de « F de souche », un site internet qui compile des faits-divers sélectionnés pour « prouver » le lien entre insécurité et immigration. Un de ses animateurs n’est pas inconnu au RN : directeur adjoint de la communication pour le maire de Beaucaire, employé par Marion Maréchal au conseil régional PACA, attaché parlementaire de Collard puis de Philippe Olivier, Damien Rieu est de ces nombreux activistes identitaires que fait vivre le RN.
Il suffit qu’un journal suisse fasse un « reportage » sur Saint-Denis (93) pour que la fachosphère n’en retienne que résistance au confinement et théorie du complot. Évidemment rien n’est dit sur la situation du logement dans cette ville qui complexifie le confinement : manque de logements sociaux et parc privé qui concentre les plus pauvres, la sur-occupation et l’insalubrité... Il n’est pas question pour elle de s’interroger sur la difficulté de s’adapter à une situation inédite, que ce soit dans les villes populaires, dans les « beaux quartiers » ou le rural isolé. Le but est tout autre, alimenter la xénophobie. La conclusion est sous-entendue : ces populations « étrangères » seront responsables en partie des morts, donc pas de soins et expulsion pour les assignés au statut de « non français », trop musulmans, trop immigrés, trop bronzés. Cet épisode vient mettre à jour la malhonnêteté de ces fachos qui alimentent l’angoisse par une désinformation la plus tordue. Expliquer, contre-argumenter et occuper l’espace médiatique, spécifiquement face à la propagande d’extrême-droite, reste un enjeux toujours plus prégnant. Hélas le délitement du travail unitaire antifasciste risque encore de se payer.
Face à la crise sanitaire, les extrêmes-droites ne posent pas la question première du service public de santé mais se focalisent sur une sur-enchère sécuritaire : couvre-feu et fermeture des frontières. Il faut dire que lorsqu’on joue la carte du discours guerrier, le RN répond présent. Sa première critique porte sur la faiblesse du gouvernement. Avec cet état d’esprit, l’extrême-droite est unanime pour un dénoncer un « scandale d’Etat » et réclame qu’ « ils » rendent des comptes après la crise. Ici, le RN espère bien sûr se placer comme le parti responsable dont la chef aurait déjà tout dit il y a plusieurs semaines... C’est l’occasion de réclamer un État fort. Les députés RN se félicitent d’avoir voté pour l’instauration de l’état d’urgence sanitaire. Ils sont pourtant assez silencieux sur le contenu d’une loi qui donne globalement les mains libres au patronat pour modifier la durée du temps travail, la fixation des jours de RTT et des congés et fragilise un peu plus la représentation du personnel. Mais tout cela cadre assez bien avec la proposition de Marine Le Pen qui demande, en complément des aides du gouvernement, que la Banque de France, grâce au plan de soutien de la Banque central européenne, verse 1 000€ par salarié sur les comptes des entreprises de moins 1 000 salariés pour qu’elles se dotent de « en fonds propres pérennes ». Les extrêmes-droites ne posent évidemment pas la question du contrôle démocratique de la production : qui décide des activités essentielles ? Comment s’assure-t-on des conditions de travail ? Mais pourquoi faire... puisque dans l’explication nationale-conservatrice, les dérives du capitalisme se combattent à coup de « morale commune ». Le patronat des TPE-PME devient alors la base de « la résistance de la société française à cette épreuve » (Marion Maréchal sur Atlantico). Le RN a choisi sa classe. La situation actuelle révèle des facteurs de crise réunis depuis longtemps. Ici encore, les extrêmes-droites ne sont pas en reste. Le non-respect des frontières et la mondialisation des échanges sont leur première explication. Comme si la diffusion des épidémies avait attendu le tournant libéral du capitalisme tardif. Il suffirait alors de s’appuyer sur le « carré magique de la survie » (dixit Villiers dans Valeurs actuelles) pour résoudre la crise : frontière-souveraineté-localisme-famille. Le moment est malgré tout favorable pour que, toujours un peu plus, un logiciel d’extrême-droite vienne répondre aux préoccupations écologistes et aux interrogations devant la logique de concurrence et de profits dont les populations payent la crise.
Sur quelles bases concrètes se construira la nécessaire solidarité pour affronter cette situation inédite et complexe ? Quelles sont les mesures d’urgence qui répondent vraiment aux besoins des couches populaires et à leurs intérêts de classe ? Quelles explications donner à cette période ? Les idées d’extrême-droite en rajoutent à la confusion ambiante. Notre capacité à en prendre la mesure et couvrir leur voix sera déterminante dans l’après-crise. Le RN, principale organisation à l’extrême-droite, se positionne pour renforcer l’implantation qu’il a, en partie, raté avec le premier tour des municipales.