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Le FN mariniste : continuités et ruptures

le 23 mars 2017, par Jean-Paul Gautier

L’arrivée de Marine Le Pen à la direction

De 2011 à 2014 Marine Le Pen a pris la direction du FN et a imposé son autorité en s’appuyant sur une équipe totalement dévouée (Aliot, Briois, Bay, Philippot... ). Elle a entrepris une politique dite de «  dédiabolisation » et a lissé le vocabulaire frontiste, voulant apparaître crédible elle s’est affirmée candidate à la gestion du pays : « je veux le pouvoir pour changer les choses ( ... ) prendre le pouvoir pour redresser la France ». Le FN a toujours fait preuve de capacités d’adaptation et d’opportunisme, développant un programme mouvant, passant d’un pro-reaganisme à un étatisme revendiqué. Louis Aliot déclare : « le FN essaie de s’adapter aux réalités du terrain ». Pour lui venir en aide le FN s’est doté de collectifs : Marianne, Banlieues patriotes, Cercle Belaud Argos, Collectif Croissance Bleu Marine, CLIC, Cercle Fraternité-Famille, Racine, Audace, Nouvelle Ecologie...
En 2002 Jean-Marie Le Pen n’a retiré aucun profit de sa qualification pour le deuxième tour de l’élection présidentielle. Marine Le Pen va elle chercher une double dynamique : s’efforcer d’effacer l’étiquette d’extrême droite et d’antisémite et tenter de se forger une image « républicainement compatible ». Elle déclare à Valeurs Actuelles en 2014 « je me suis battue avant même mon élection à la présidence du mouvement pour que le Front National devienne un parti de gouvernement ». Elle suit ainsi la ligne défendue dans le passé par Mégret ex N° 2 du mouvement.

Le programme du FN

La terminologie change, les fondamentaux restent. Ainsi « la préférence nationale » est rebaptisée « priorité nationale » terme moins connoté mais qui pour le FN reste « non négociable » . On ne scande plus « la France aux Français », mais « on est chez nous ». Sur l’immigration, il ne s’agit plus de renvoyer «  les immigrés d’au-delà de la Méditerranée dans leurs gourbis » mais« d’organiser le retour chez eux des immigrés du Tiers Monde ». Pour le FN quatre « I » menacent la France : « islam, immigration, insécurité, imposition » face à quoi il oppose la défense de l’identité. Le thème de « l’ensauvagement » développé dans le livre « La France Orange mécanique » est repris. Marine Le Pen se situe donc dans la continuité frontiste, en ré-exploitant la question de l’identité et du nationalisme restant ainsi un vecteur de la xénophobie. De même le FN maintient son opposition totale à l’ UE et stigmatise le mondialisme comme vecteur du communautarisme : « c’est l’alignement sur le moins disant social, la dilution de nos valeurs de civilisation » y voyant des « intérêts communs entre mondialisme et islamisme ».
Dans un certain nombre de domaines, le FN a « évolué ». Marine Le Pen veut accentuer sa « fibre sociale » et s’adresser aux « invisibles et aux oubliés » s’occuper «  des vraies questions qui préoccupent les Français chômage, pouvoir d’achat, insécurité, immigration, islamisation ». Elle fait sienne la position de François Duprat des années 70 développant l’idée d’un État fort régulateur devant maintenir la cohésion du « groupe national » avec de larges pouvoirs. Marine Le Pen se considère comme le porte drapeau de la laïcité utilisée comme outil anti-islam, qu’elle dénonce comme «  une religion de l’invasion, incompatible avec la laïcité, la démocratie ». Établissant un traitement inégale au profit de la religion chrétienne. Excluant une partie des citoyens au profit du peuple dit « de souche » cette instrumentalisation permet au FN de dénoncer l’immigration d’une façon censée être plus acceptable. Elle joue ainsi sur deux tableaux : en direction des traditionalistes en défendant la chrétienté et en direction des progressistes en prétendant défendre les homosexuels, les droits des femmes. Le FN a ouvert un nouveau fond de commerce : l’islamisation. Elle est parvenue - comme d’autres extrêmes droites européenne - à tisser un lien entre immigration, islamisme et insécurité.
En politique étrangère, comme son père, c’est soutien à Poutine, et Assad « verrou contre les terroristes islamistes ». Le changement important est le positionnement, par rapport à Israël, car elle appartient au courant pro-sioniste de l’extrême-droite. Elle donne régulièrement des interview à des organes de presse israéliens et a rencontré dernièrement dans un cadre non officiel à New-York Ehud Barak qui l’a félicitée « pour son action », tout comme Nicolas Bay (secrétaire général du FN) s’est rendu en Israël et a rencontré le président des jeunes du Likoud et un ministre. Elle affirme que « les Juifs n’ont rien à craindre du Front National » et le FN « est sans doute dans l’avenir le meilleur bouclier pour vous protéger, il se trouve à vos côtés (... ) face au seul vrai ennemi , le fondamentaliste islamiste ». Cacher l’antisémitisme du FN est une priorité et un verrou : par rapport à Israël et par rapport à sa politique de dédiabolisation. D’où la rupture avec son père,coutumier des déclarations antisémites. Certains membres de son entourage entretiennent des liens avec la Ligue de Défense Juive, « Une Union des Patriotes Français Juifs » a été créée, dirigée par Michel Thooris, ancien membre du syndicat ActionPolice de la CFTC et conseiller Sécurité de Marine Le Pen. L’antisémitisme a cédé la place à un anti-islamisme face au nouveau danger d’un « antisémitisme islamique »

La crise entre Jean-Marie Le Pen et sa fille

Jean Marie Le Pen est rompu au jeu de la récidive. Il a été condamné 18 fois dont 9 pour « apologie de crimes de guerre ». Pour sa dernière provocation, il a choisi Rivarol lieu de rencontre des diverses tendances de l’extrême droite. Jean Marie Le Pen y était interviewé par deux anti-marinistes virulents soutien de Bruno Gollnisch lorsqu’il était candidat à la présidence du FN. L’un d’eux qualifiant Marine Le Pen de « gourgandine » entourée d’une bande «  d’invertis notoires, d’arrivistes et d’enjuivés.  »
La réaction de Marine Le Pen ne s’est pas faite attendre. Elle dénonce « la stratégie de terre brulée, le suicide et l’irresponsabilité politiques » de son père dont les propos ont peu d’impact sur les nouveaux adhérents du FN-RBM (Rassemblement Bleu Marine). La mise à l’écart du père a de nombreux avantages pour le « nouveau FN » : effacer une bonne fois pour toute l’étiquette antisémite et négationniste et devenir ainsi de plus en plus respectable. Ces tensions traduisent l’opposition entre deux stratégies avec une Marine Le Pen qui se place dans l’optique de l’arrivée au pouvoir en 2017, ce qui n’a jamais été le cas de son père.

Y-a-t-il des tendances au FN ?

On peut plutôt parler de différentes sensibilités qui apparaissent : des nationaux républicains étatistes contre des libéraux conservateurs, des jacobins contre des régionalistes, les « laïcards » contre des nationaux catholiques, les défenseurs de « l’immigration raisonnée » contre les adeptes du « Grand Remplacement », les sionistes contre les pro-palestiniens . Avec deux stratégies par rapport à la droite. La nièce est partisane d’une union avec une droite, alors que la tante la rejette totalement. La question est : comment arriver au pouvoir sans passer d’alliances ? Le discours frontiste s’adapte en fonction des territoires avec au Nord une thématique plus sociale et au Sud un focus sur l’immigration, l’insécurité ...

« Continuités et ruptures » : état des lieux

Force est de constater que père et fille sont sur la même longueur d’onde (immigration, Union Européenne, préférence nationale). Deux ruptures semblent fondamentales : la volonté affichée par la présidente d’arriver au pouvoir et surtout la disparition d’une thématique antisémite et négationniste. C’était LE verrou idéologique à éliminer pour mener à bien la dédiabolisation. C’est là la véritable rupture avec le FN historique. Avec Nicolas Sarkozy le FN a remporté une victoire idéologique quand une large fraction de la droite l’a suivi sur la question des valeurs, des enjeux migratoires et des politiques de sécurité. Marine Le Pen a ainsi pu imposer ses thèmes. La politique de « ripolinage » se poursuit : le nom du FN a disparu des affiches électorale, ainsi que la flamme au profit du seul slogan « Marine présidente » pour« une France apaisée ». Exercice difficile car la nature peut reprendre le dessus. A Nantes lors de son premier meeting de campagne, elle a retrouvé les thèmes classiques de l’extrême droite : dénonciation des puissances d’argent, des cabales et d’un complot ourdi contre celle qui défend les patriotes. Dans les années 80, le FN avait publié une affiche : « Jean-Marie Le Pen dit la vérité, ils le bâillonnent ». Il suffit juste de changer le prénom...